Quand on est gosse, on ouvre la paume de nos petites mains sans hésitation
Pour faire glisser nos doigts sur nos lignes de vie avec une enfantine précision
C’est comme si un bolide y était lancé à tout moteur et à toute vitesse,
Persuadés que tout ira bien malgré les chicanes et les chemins de traverse.
En grandissant, on ferme les poings avec une troublante émotion,
On ravale nos rêves et on éclate nos certitudes sur un quotidien d’aversion.
Celui du marché du travail, des missions d’intérim et des emplois précaires,
Sur les fins de mois qui commencent le dix pour vingt jours de galère.
On signe les yeux fermés des Contrats à Démultiplication du Désastre,
En se disant qu’il vaut mieux ça à un RMI qui nous castre.
On saisit au hasard des offres raisonnables, parce qu’il faut bien être terre à terre,
Y’a pas à dire, les temps sont durs pour les utopistes et les précaires.
Il faut bien avoir quelque chose à mettre dans le ventre pour le vomir,
Alors, on accepte en se disant que demain ça ira mieux, qu’il faut tenir.
Mais demain est une pâle réplique d’hier, d’avant-hier et des jours précédents
Avec quelques espoirs en moins, et un peu plus de dégoût pour les gens.
On s’enferme dans des emplois à dix mille lieux de son cœur, par dépit, par nécessité.
Parce qu’il le faut bien, le travail c’est le moteur, c’est la santé,
On s’épuise le corps à s’endormir l’esprit, juste pour encaisser les jours sans repos.
Les semaines s’allongent, les heures se multiplient, et on hisse le blanc drapeau.
On est tous rentré en guerre contre des moulins à vent, et des comptes en banque en panique
On perd pied, on se noie, on fera un plan, c’est ce que la Banque de France nous explique.
Rien n’est grave, on n’est pas les seuls, y’a déjà un paquet de gens shooté au Lexomil
Qui ça inquiète ? Les politiques ? Les banquiers ? On danse pourtant en équilibre sur leur fil.
Levez un peu les yeux au ciel, voyez ses funambules lancés sur leur arc tendu au possible,
Ils dansent leur improbable dérive. A quand la chute ? A quand leur dérive nuisible ?
Chacun vacille et se raccroche à ses projets comme à une bouée de sauvetage.
On déroule le parchemin de cet ersatz de parcours professionnel. Intenable naufrage.
On dit que la vie est faite de chance, de hasards et d’opportunités,
Nous on ne descelle ici que des envies avortées et des occasions manquées.
Maintenant, on n’est plus des gosses, nos poings sont tendus, fermés, scellés
Le bolide a quitté la route, nos espoirs sont condamnés, usés, clamsés.
Et si on lève le poing parfois si haut dans le ciel les jours de grève,
C’est peut être simplement pour mettre en parenthèse le monde, on rêve.